A tightly paced queer romance that explores how the relationships we build make us who we are
A book of two halves, Sadness in My Heart begins with “Berlin,” where Yusif, a young man of Lebanese origins, has grown up in an adoptive family. The handsome Azo teaches Yusif how to love and supports him through his father’s illness, but when Yusif is bereaved, their relationship reaches breaking point. Part two, “Beirut,” sees Yusif set off alone to scatter his father’s ashes in the country of his birth, hoping to find out something about his biological family on the way. Yusif is thrilled to meet new people and discover the city’s nightlife, but as he travels around Lebanon in the company of his new friends, it slowly becomes clear that everybody of the civil war generation has blood on their hands—and his father is no different. Yusif has pieced together a sense of self out of love, friendship, and what family he has, but can it survive the discovery he makes in Beirut?
BERLIN
1
Depuis qu’il m’a confié vouloir m’accompagner à Beyrouth, je réfléchis. Je m’étais dit qu’il voulait être à mes côtés pour m’aider, lui qui connaissait si bien la ville, même si mon retour ne nécessitait pas de recherche ou d’enquête particulières. Les adresses que j’avais obtenues auprès de l’orphelinat étaient précises et les employés m’avaient fait comprendre que ce serait simple, je n’étais pas le premier à se poser des questions sur ses origines.
Il y a longtemps, et plus je lis à ce sujet plus cela me semble lointain, l’affaire des enfants arrachés au Liban dans les années 1980 avait été dévoilée par les médias allemands. Les instructions étaient claires : aider quiconque poserait des questions sur sa famille. À l’époque, la police, les ministères et les institutions concernées avaient collaboré, et des visites aux nouvelles familles avaient été organisées pour discuter de la légalité de la situation des enfants adoptés. La guerre civile libanaise battait son plein, c’était la débâcle ; le gouvernement libanais et ses ambassades ne coopéraient pas avec la police allemande, qui s’était retrouvée seule pour enquêter sur cette affaire.
Laissant de côté les articles de journaux, j’ai essayé de me rappeler ce qui s’était passé à la maison. Je ne me souvenais que de cette visite orpheline. Mon « père » m’appelle et j’entre dans la pièce où deux policiers sont assis avec maman et lui. Ils me posent quelques questions, je réponds brièvement à celles que je comprends avant de me retirer dans ma chambre.
Quand j’ai informé mon « père » de mon désir de chercher mes vrais parents, il m’a écouté en silence. J’ai interprété son mutisme comme une invitation à continuer, alors j’ai parlé sans m’arrêter jusqu’à qu’il n’y ait plus rien à dire. « Papa » s’est levé en direction de sa chambre et m’a invité à le suivre. Il s’est assis au bord du lit, a sorti le cahier bleu que je l’avais toujours vu feuilleter et a griffonné quelque chose à l’intérieur, puis il a arraché la page et me l’a tendue.
Je me suis rendu à l’adresse indiquée sur la feuille pour me renseigner sur l’identité de mes vrais parents. L’employé de l’orphelinat s’est étonné que je lui demande des informations essentielles que mes parents adoptifs étaient sensés m’avoir fournies. Voyant que je ne réagissais pas, il a finalement arrêté de me questionner et il est parti chercher ce que je lui avais demandé.
Il ne pouvait pas savoir que ma relation avec mon « père » s’arrêtait toujours avant même de commencer. Entre nous, les fins n’étaient jamais définitives ; c’étaient des fins reportées, régies par le silence et les gestes. Pourquoi n’ai-je jamais eu de relation comme celle qu’ont mes amis avec leurs pères ? Je me le suis toujours demandé. J’aurais pu accepter de ne pas savoir et lâcher prise, me dire que c’était parce qu’il n’était pas mon père biologique, mais les choses ne s’expliquent pas ainsi, et si on pouvait les analyser de la sorte alors beaucoup d’histoires finiraient avant même d’avoir commencé.
Pourquoi voulait-il faire ce voyage avec moi ? S’il avait vraiment voulu rentrer au Liban, il l’aurait fait dès les premiers jours après le retrait de l’armée syrienne, comme ses amis qui étaient venus nous rendre visite pour annoncer leur départ. Il ne l’avait pas fait. Il leur avait montré son soutien, leur avait serré la main, tapoté l’épaule et les avait embrassés. Mais quand ils l’avaient enjoint à rentrer avec eux, il s’était contenté de secouer la tête et de sourire, sans se risquer à une réponse définitive. Ils étaient donc partis, dans l’espoir de retrouvailles prochaines.
2
Je regarde Azo depuis le canapé où je suis assis. J’observe son grain de beauté en relief sur le côté gauche de son épaule, j’examine les marques apparues sur la peau du bas de son dos après ses pertes de poids successives. Je le pense plongé dans le sommeil, alors je continue de promener mon regard sur sa taille, ses doigts, ses fesses, ses cuisses.
Je peux contempler son corps sans me lasser. Ce n’est pas la première fois que je laisse errer mon regard ainsi après qu’il s’est endormi. Ce n’est même pas sexuel ; enfin je veux dire ça l’est, mais ce qui me pousse d’abord à le regarder n’est pas tant le désir d’excitation – même si je suis excité – que le délice de découvrir et redécouvrir son corps, comme un voyage mêlant tristesse et plaisir tout à la fois.
« Chez moi, pas de plaisir sans tristesse et pas de tristesse sans plaisir », avais-je déclaré une fois à Adrian, mon psy, qui avait alors froncé les sourcils pour me montrer qu’il n’était pas convaincu par cette maxime péremptoire.
Lorsque j’observe son corps, Azo redevient le gars qui faisait la queue pour entrer dans la boîte où on s’est rencontrés la première fois. À ce moment-là, j’ai eu l’impression qu’il m’avait regardé avant de sortir de la file, mais il m’a dépassé et a rejoint d’autres gens derrière moi.
J’ai tendu l’oreille dans l’espoir de saisir ce qu’il racontait à ses amis. J’étais tellement concentré à les écouter que j’oubliais régulièrement d’avancer, comme me le faisait remarquer la personne après moi. Je les ai d’abord entendu parler en arabe, puis dans une langue que je n’ai pas comprise. Je me suis rendu compte plus tard que c’était du kurde. Au final, je n’ai pas patienté longtemps avant de pouvoir entrer et j’ai retrouvé mes amis qui m’attendaient.
Je leur ai dit que j’allais les rejoindre dans quelques minutes, après avoir suggéré qu’ils aillent voir les autres salles, tandis que je restais debout au bar à fixer la porte. J’attendais qu’Azo entre. Mais l’obscurité et les flashs de lumière ne m’aidaient pas à distinguer les visages de ceux qui entraient, et très vite mon attente s’est vue interrompue par un autre ami du groupe qui arrivait et m’invitait à prendre un verre.
Je ne suis pas resté tard comme j’en avais l’habitude les weekends. Je me suis excusé un peu avant minuit en prétextant que je ne me sentais pas bien et que je ferais mieux d’arrêter de boire.
Je me suis arrêté dehors, envahi par la triste déception qui suit les occasions manquées. Je ne sais pas pourquoi j’envisageais Azo comme tel à ce moment-là. Je ne l’avais jamais vu avant cette file d’attente partagée, je ne l’avais jamais croisé, ni dans ce club, ni dans la rue, malgré ma fréquentation hebdomadaire des lieux.
Certain de mon échec, j’ai attendu près de la porte en fumant une cigarette. Je n’avais pas envie de rentrer chez moi, j’ai décidé de marcher un peu pour voir où mes pas me mèneraient. J’ai déambulé près d’une heure, et me suis retrouvé de nouveau devant l’entrée du club, sur le trottoir d’en-face. Sans m’en rendre compte, j’avais fait un tour complet et j’étais revenu au point de départ.
J’étais en train de me griller une autre cigarette quand je l’ai vu franchir la sortie. Il s’est arrêté en titubant et en a placé une à sa bouche, il n’avait pas l’air de réussir à l’allumer. J’ai pensé traverser la rue pour lui proposer du feu, poussé par l’excitation qu’il faisait naître en moi, mais j’ai hésité. À peine quelques secondes plus tard, il a levé les yeux dans ma direction, m’a adressé un drôle de sourire et s’est approché. En arrivant à ma hauteur, il s’est contenté de me saluer, il a saisi le briquet sans rien me demander et a allumé sa cigarette, puis il me l’a rendu en me remerciant et s’est assis non loin sur le bord d’une marche. Il m’a invité en anglais à le rejoindre.
Après les présentations, nous sommes restés tous les deux assis sur l’escalier à fumer en silence. Azo a marmonné une phrase incompréhensible. Je n’ai pas eu le temps de lui demander des explications qu’il avait déjà lancé son mégot et s’était mis à vomir entre ses jambes.
« Youssef ? », Azo m’appelle depuis le lit. Il tapote l’oreiller à côté de lui en faisant la moue. Je me lève et tente de sauter par-dessus lui pour rejoindre la place vide, mais il me fait basculer et s’allonge contre moi : « T’étais en train de me mater pendant que je dormais. »
Je nie en secouant la tête, mais il hausse un sourcil, sa mimique habituelle pour me montrer qu’il n’est pas convaincu. Je finis par lui avouer que j’aime l’observer. Il approche son visage du mien pour me dire que je peux continuer à le regarder. Je le repousse gentiment et m’assois au bord du lit.
« Je me rappelais quand tu as vomi sur mes genoux la première fois qu’on s’est rencontrés », lui dis-je soudainement. Il me corrige en précisant que c’était sur le trottoir qu’il avait vomi. « Qu’est-ce qu’une relation sinon un échange de vomissures », me dit-il en me prenant dans ses bras. Puis, il s’excuse, il sait que ces derniers jours ont été pénibles. Il dépose un baiser sur mon épaule et se rallonge.
Cette fois, je me laisse aller vers lui. Je l’embrasse les yeux fermés, sans savoir s’il me regarde ou non.
6
Nous avons déambulé dans les rues de Berlin. Dansé dans deux boîtes. Nous sommes allés dans des bars devant lesquels j’étais passé sans jamais entrer. Nous avons fumé un joint ensemble. Goûté des cocktails dont je n’avais jamais entendu parler. Et lorsque j’ai fini par vomir sur le trottoir, Azo a éclaté de rire et m’a dit qu’on était quittes.
C’était une nuit débridée comme je n’en avais jamais connues. Si moi j’étais complètement à bout de force, Azo, lui, était toujours bien conscient, comme si le fait d’avoir vomi et dormi quelques minutes à l’extérieur du premier club lui avait redonné assez d’énergie pour affronter une nouvelle journée.
Il m’a proposé qu’on rentre chez lui. Je ne m’y suis pas opposé, mais quand j’ai appris où il habitait, j’ai estimé ne pas être en état d’aller si loin. Nous étions proches de l’appartement de mon « père ». Je lui ai demandé de me raccompagner et lui ai expliqué où se trouvait l’adresse avant qu’une peur étrange ne s’empare de moi, vraisemblablement à cause des effets du shit.
Azo m’a tenu la main tout le long du trajet, riant de mes commentaires. Il a remarqué que ma peur augmentait chaque fois qu’on croisait un passant. Il me rassurait, m’encourageait à avancer. En arrivant, je lui ai dit merci et je me suis retourné pour entrer dans le bâtiment, mais je me suis pris les pieds sur le rebord du trottoir et me suis étalé sur le sol.
Il a été obligé de monter avec moi. J’ai eu un fou-rire dans l’escalier. Je me suis arrêté et j’ai tout avoué : j’avais écouté à la dérobée sa conversation avec ses amis même si je ne comprenais pas sa langue, je l’avais cherché à l’intérieur de la boîte, puis j’étais parti, trop déçu, mais j’étais revenu et je l’avais attendu sur le trottoir, et j’avais fait tout ça sans savoir pourquoi, d’ailleurs il n’était pas vraiment mon type d’homme.
Il a ouvert avec ma clé, sortie de ma poche. Je lui ai demandé de faire moins de bruit, alors qu’il ne disait rien et que c’était moi qui riais. Une fois dans la chambre, je l’ai embrassé, j’ai défait les boutons de sa chemise et j’ai regardé son corps. Il ne m’a pas laissé passer à l’étape suivante, il m’a embrassé rapidement et m’a dit qu’il fallait dormir. J’ai acquiescé sans m’énerver ; j’étais prêt à accomplir tout ce qu’il me demanderait. Il s’est préparé à partir mais je lui ai attrapé le bras pour qu’il reste. Il m’a lancé un drôle de regard, qui par la suite hanterait mes rêves, et m’a demandé si ça allait. J’ai menti. Je lui ai dit que j’avais peur, il ne fallait pas qu’il me laisse. Il a secoué la tête, s’est assis sur le petit fauteuil accolé au lit et m’a tenu la main jusqu’à que je m’endorme.
À mon réveil le lendemain, il n’était plus là. Je portais encore les habits de la veille. Je n’arrivais pas à me souvenir de ce qui s’était passé et j’avais un mal de crâne épouvantable. Je suis sorti de la chambre, et vers la cuisine, j’ai entendu des voix en provenance du jardin. Je me resté à la porte pour regarder au-dehors. Azo était assis sur la balancelle avec mon « père », ils prenaient un café en plaisantant.
BEYROUTH
9
20:15.
Comment tuer le temps avant l’arrivée de Rani ? Je me suis douché en cinq minutes et j’en ai pris cinq autres pour me rhabiller. Je me suis assis sur le lit. Essayant d’oublier ce qui venait de se passer, j’ai décidé d’explorer les alentours de l’hôtel. J’ai vérifié que j’avais bien de la batterie et que la 3G fonctionnait avant de sortir.
Après quelques pas, je me suis rendu compte que l’hôtel se situait dans une rue pleine de bars. Chaque porte qui s’ouvrait laissait s’échapper une musique assourdissante. J’avançais en évitant de m’engager dans les petites rues transversales pour ne pas me perdre au retour. Même si j’avais accès à des cartes sur le téléphone, j’avais ma propre façon d’aborder les nouveaux lieux : premièrement, découvrir les endroits proches en marchant tout droit sans trop tourner, et ensuite élargir peu à peu la zone découverte.
Je me suis promené pendant une vingtaine de minutes, avant de choisir un établissement devant lequel j’avais remarqué deux clients dans la trentaine. Je me suis frayé un chemin jusqu’au comptoir à travers la foule agglutinée. Le barman s’est adressé à moi en arabe. Je lui ai répondu en anglais pour commander une bière. Il m’a demandé de préciser laquelle, « Un truc local » je lui ai répondu. Le serveur a voulu me la verser dans un verre mais j’ai attrapé la bouteille telle quelle. J’ai payé en lui laissant un peu de pourboire, ça l’a fait sourire, puis il est retourné bosser et moi je suis sorti.
Ceux qui étaient dehors s’autorisaient à s’éloigner du bar, leurs verres et leurs bouteilles à la main. Ça avait l’air d’être permis ici, alors j’ai fait comme eux et j’ai traversé la rue. Je suis resté sur le trottoir d’en-face plus d’une heure, retournant me prendre une bière une seule fois. J’observais les gens : leur attitude, leur façon de rire, de se parler.
J’ai décidé de rentrer à l’hôtel pour me poser à la cafeteria qui donnait sur la réception et boire un café.
Peu de temps après m’être installé, j’ai reçu un message de Rani me disant qu’il arrivait. J’ai laissé ce qui restait de mon café et me suis dirigé vers l’entrée. Il est arrivé pile au moment où je sortais. « Youssef ? » m’a interpellé un jeune homme souriant, à la tête rasée mais à la barbe fournie, depuis sa BMW noire. J’ai hoché la tête et suis monté avec lui.
— Enfin ! s’est-il exclamé tout en baissant la musique. Amr m’a beaucoup parlé de toi. Tu as fait quoi depuis ton arrivée ? Tu es sorti ?
— J’ai fait un tour pas loin de l’hôtel.
— Tu as fait des rencontres ?
— Non. J’ai seulement pris un verre, et regardé les gens.
— Hmm. Dans ce pays au début il faut rencontrer plein de monde, et ensuite tu fais le tri. Pas trop fatigué ?
— J’ai un peu dormi après mon arrivée. Je me sens en forme.
— Super. Je vais te présenter quelques amis.
Rani s’est mis à accélérer. Au début, j’ai cru qu’on était en retard pour rejoindre les autres, mais j’ai remarqué que toutes les voitures autour de nous circulaient de la même manière : ça avance à toute vitesse, ça s’arrête brusquement, ça tourne à gauche à droite subitement sans clignotant. J’ai pris mon téléphone pour avoir une idée de là où on allait, et j’ai réalisé qu’on était encore dans le quartier de Hamra. On a finalement passé plus d’une demi-heure à tourner en rond dans les mêmes rues ou dans des parallèles. On s’arrêtait derrière les camions-poubelles et les voitures qui essayaient de se garer.
— Bienvenue à Beyrouth de nuit, impossible de se garer. Beyrouth la…, m’a dit Rani en anglais en ajoutant un dernier mot en arabe qui sonnait comme une insulte.
Finalement, il a appelé un ami qui a su lui indiquer où trouver une place. Il a tout à coup changé de direction et bifurqué vers une rue à l’entrée de Hamra.
— On va marcher un peu, m’a dit Rani d’un air désolé.
— Pas de problème, ai-je répondu.
10
Un soldat nous a arrêtés pour nous demander où on allait. Rani a argumenté avec diplomatie, et a mentionné le nom du bar qui se trouvait au bout de la rue. Le soldat m’a lancé un regard étrange avant de nous laisser passer. On a continué à marcher. J’ai essayé d’engager la conversation.
— Comment est-ce que tu connais Amr ?
— Il est venu en vacances l’été dernier. On a fait connaissance dans le bar, là où je t’emmène. On a passé du temps ensemble, et puis je l’ai présenté à mes amis, les mêmes que tu vas rencontrer ce soir.
Je n’ai pas cherché à savoir ce qu’il entendait par « passer du temps ensemble ». J’ai préféré changer de sujet.
— Tu travailles dans quoi ?
— Je suis graphiste.
Il m’a montré le dessin imprimé sur son t-shirt en disant que c’était un de ses design. C’est à ce moment-là que j’ai remarqué son allure sportive. Il ne portait pas des habits incroyables, juste un pantalon noir avec un t-shirt blanc et des baskets. Très peu de temps après, nous sommes arrivés à l’entrée d’une allée où des fumeurs s’étaient regroupés. Rani en a salués quelques uns tout en continuant son chemin. Arrivé au bout de cette courte allée, il s’est tourné vers moi en souriant : « Welcome to Bardo. » Il a ouvert la porte, et je me suis pris une rafale de chansons des années 80 dans la face. Il m’a laissé entrer puis il m’a dépassé et s’est dirigé vers le coin où ses deux amis étaient assis. […]
11
La lumière s’est tamisée et l’obscurité a étendu son règne sur le lieu. La musique a baissé, laissant émerger les voix, comme si sa première fonction avait été de couvrir les conversations et les mettre à distance, et qu’en s’arrêtant tout revenait à sa place. Soudain, une même note de musique a commencé à se répéter, d’abord de manière espacée, puis de plus en plus rapprochée, jusqu’à devenir un son continu. Quelqu’un maintenait la touche d’un orgue enfoncée. Les voix se sont tout de suite arrêtées. Dans un coin, une lumière rouge a été projetée sur un gars qui s’occupait de la musique. Puis, un spot violet s’est allumé, révélant près de lui une personne qui, tournant le dos au public, a commencé à chanter.
Je ne te reviendrai jamais
Je ne te reviendrai jamais
Qu’importe les battements
de mon cœur… implorant ton retour
Silence dans la salle. Il ne restait plus que le bruit des verres qui s’entrechoquaient. Le chant exerçait son pouvoir. Le chanteur s’est retourné vers nous.
— Fuck me ! a crié Jean d’un coup.
— Chhh…, lui a intimé Julien.
Farran portait une robe noire sans manches et une paire de gants rouges remontant jusqu’à mi-bras. Une longue perruque noire coiffée impeccablement. Le visage maquillé : khôl noir et rouge à lèvres de la même couleur que les gants. Des boucles d’oreilles en or blanc et un collier assorti autour du cou.
C’est toi
qui t’es lassé le premier, tu m’as repoussé
et trahi mon amour
si aujourd’hui tu appelles
mon cœur à te retrouver
non non non
il ne répondra pas
Jean me traduisait les paroles à l’oreille tout en respectant la mélodie. Farran a arrêté de chanter et la musique électronique a retrouvé son emprise sur la salle. Il ondulait en rythme, s’approchait du public, aguicheur, répétait en murmurant des paroles entrecoupées. Il a repris le premier couplet, puis il s’est tu et a pris la pose sur scène.
Sadness in My Heart (2022) is the most exciting novel yet by a writer whose work has been shockingly undertranslated. Here, Chouman combines his adventurous approach to form with his talent for deft and sensitive portrayals of queer life that refuse to indulge in cliché or voyeurism. The result is his most profound exploration yet of queer love and what it can teach us about the meaning of family and roots, in an absorbing narrative propelled forward by short, insightful chapters that translate fluidly from his sharp and powerful Arabic.
Prizes and awards
Katharine Halls has been awarded a Berlin Senate grant to translate Sadness In My Heart into English
Press
The translation holds the spare and haunting rhythm of Chouman’s prose, which is so often simultaneously sad and beautiful by ArabLit, March 2022
The Beirut-born, Toronto-based Chouman explores the locality of Beirut, the home, from the lens of an outsider. He does this through linguistic experimentation, where questions of identity, memory and loss are explored through fast-paced storytelling and a local tongue by Mada Masr, January 2022